En plus de la correction professionnelle de tous vos textes, je propose quelques astuces avec ce blog pour répondre aux questions que vous vous posez sur la langue française.
04/11/2022
La crédibilité d'un univers imaginaire repose en grande partie sur sa linguistique. C'est le socle sur lequel reposent la narration, l'histoire, les personnages ; c'est une porte qui permet d'accéder à un monde vivant et cohérent, et d'y croire l'espace de quelques pages.
Avec cet article, je vous propose de voir les éléments qui me semblent importants à garder en tête quand on travaille des noms repris ou inventés pour la littérature de l'imaginaire.
Les points abordés :
Travailler les graphies
Former les adjectifs
Créer des mots de toutes pièces
Mener des recherches étymologiques
J’ai le plaisir de corriger régulièrement des romans de fantasy ou de science-fiction, et ça tombe bien, j’adore ça. Je prends à cœur d’intégrer des remarques d’ordre linguistique pour assurer l’homogénéité de vos univers, parce que je considère que c’est un socle fondamental qui sert la crédibilité de l’œuvre. C’est pourquoi je voulais partager les points qui reviennent le plus souvent dans mes annotations, ainsi que des pistes que vous pourrez choisir de suivre pour vos prochaines créations.
Cet article s’adresse à vous, adeptes, auteurs et autrices de littérature de l’imaginaire. Qui n’a pas hésité en déclinant un nom inventé pour en faire un adjectif ? Qui n’a jamais été perdu par des mots propres à l’univers que nous parcourons des yeux parce que les terminaisons ajoutées n’avaient aucun sens ?
Aujourd’hui, je vais m’attarder sur les points qui me semblent importants pour assurer une certaine cohérence linguistique à son récit, qui en sort enrichi.
Il s’agit d’un article d’opinion, comme l’était celui sur le Certificat Voltaire que vous pouvez retrouver ici. De fait, n’hésitez pas à être en désaccord avec moi, et j’omets sans aucun doute des éléments qui vous tiennent à cœur...
Travailler les graphies
Former les adjectifs
Créer des mots de toutes pièces
Mener des recherches étymologiques
Conclusion
Sources
Lorsqu'on invente ou reprend un nom à son compte, on détermine rapidement s’il convient d’ajouter une majuscule initiale ou non. Pour ceux des personnages, par exemple, c’est très facile de se souvenir qu’ils en prennent une. Et les traits d'union ? Et la correspondance phonétique ? Pas évident !
Qu’en est-il si l’on forme un titre honorifique ou qu’on évoque quelque chose par une périphrase ? Ou tout simplement quand on utilise un titre qui existe déjà, mais qui indique une réalité précise dans l’univers que l’on crée ?
Les maîtres mots pour travailler vos graphies sont liberté et cohérence. Peu importe si vous écrivez « la grande-duchesse du bois des Fées » pour désigner « Gruntilda l’éloquente », du moment que vous vous tenez à la place du trait d'union et des majuscules (sauf, bien sûr, si l’intrigue entraîne un changement ou qu’un personnage veut volontairement modifier l’importance qu’il accorde à un autre).
Peut-être que vous écrirez plus loin, sans y penser, « Grande Duchesse du bois des fées, Gruntilda l’Éloquente » ou « grande Duchesse du Bois des fées », allez savoir. Mieux vaut éviter et réfléchir à l'harmonisation en amont de l'écriture.
Essayez de conserver cette logique pour les traits d'union et pour les manières d'écrire des mots qui semblent voisins, susceptibles d'être prononcés par vos personnages d'une certaine façon.
Veillez à l’harmonisation de vos graphies tout au long du texte, sauf si une modification est justifiée.
Alors, comment assurer la cohérence quand on utilise une quantité folle de termes, de noms propres, de titres honorifiques, etc. ?
Réfléchissez à ce que les majuscules, les traits d'union et même la manière de prononcer les mots signifient dans votre univers. Pourquoi ne pas mettre de majuscules à « grande duchesse » alors que l’on vient d’en accorder une au « Grand Comte des Dragons » ?
C’est valable pour tout : si vos personnages parlent du « Château » pendant tout le livre, mais que vous laissez une ou deux occurrences du « château », comment feront vos lecteurs pour comprendre qu’il s’agit du même lieu ? Si le « Château » en question désigne un lieu précis, important, identifiable par les personnages, alors gardez la majuscule.
Si les incohérences n’ont pas de raison d’être – sachant qu’il est parfaitement possible qu’une incohérence soit réfléchie –, pensez à harmoniser vos graphies pour que vos choix dénotent un monde construit et crédible.
Pour ce faire, prenez des notes, arrêtez vos décisions et intégrez-les à vos fiches de personnages afin de vous faciliter le travail.
Le deuxième point à garder en tête, c’est que les adjectifs tirés de noms propres, inventés ou non, sont avant tout des adjectifs ! Ils perdent la majuscule et varient en genre et en nombre (si vous ne choisissez pas de les rendre invariables).
« Cette Française est autrice, elle écrit des thrillers. »
« Cette autrice française écrit des thrillers. »
Dans la seconde phrase, « française » est adjectif et perd la majuscule.
Si nous revenons à notre chère Gruntilda l’éloquente, on prendra garde d’écrire qu’elle est « du bois des Fées » – si « Fée » désigne un peuple –, mais qu’elle dirige « le peuple fée ». Je lis trop souvent des noms de peuplades sans majuscule et des adjectifs qui en prennent sans aucune raison !
« Les Fées ont un goût prononcé pour le fromage. »
« La culture fée est très axée sur le fromage. »
Et dans le cas d’un adjectif qui pourrait prendre la marque du féminin ? À vous de trancher, vous êtes libres, mais encore une fois, restez cohérent·e·s pendant tout le texte.
« Les Dragons préfèrent le chocolat »
« La culture – choisissez “dragon”, “draconique”, voire “dragonne” (pourquoi pas ?) – déifie le chocolat. »
L’important est de donner du sens à ce que vous écrivez. Prenez soin de vos adjectifs, ils enrichissent votre univers.
Dans le cas des noms ou adjectifs complètement inventés, je lis souvent l’invariabilité ; soit parce que l’on ne pense pas forcément à décliner ses mots, soit par facilité – ce qui est tout à fait valable et même recommandé avec certaines terminaisons.
Mais dans le cas de la variabilité, le plus simple est d’appliquer les règles classiques du français :
« Le territoire bloublou comprend quantité de vignobles. »
« La reine des Bloublous aime le jus de raisin. »
« La reine bloubloue aime le jus de raisin. »
Mais rien ne vous empêche d’écrire « La reine des Bloubloux » et « la reine bloubloute » si vous préférez !
Personnellement, j’aime aussi quand l’auteur invente un système propre à son monde, différent du français :
« La reine des Bloubloubih aime le jus de raisin. »
« La reine bloublouba aime le jus de raisin. »
Ici, la terminaison -bih est un pluriel alors que la terminaison -ba est un féminin. Dans cet univers et pour désigner des peuples dans cette langue, c’est la règle. Et c’est parfaitement acceptable, du moment que l’auteur·ice reste cohérent·e et respecte ce qui est déjà déterminé. Bien sûr, vous pouvez sciemment choisir de bouger les règles en fonction de dialectes ou d’autres contextes (attention néanmoins à ne pas noyer le lectorat).
Vous avez peut-être entendu parler de J. R. R. Tolkien, créateur d’Arda et de toute sa mythologie. Eh bien, sa passion pour la linguistique – qui était aussi accessoirement son métier – n’est pas étrangère à la cohérence de la Terre du Milieu et des différentes langues que parlent les nombreux peuples. Non content d’inventer une multitude de dialectes, il les a fait évoluer dans son univers en fonction du temps et de l’espace, en dotant chacun d’une histoire, de règles grammaticales, d’un vocabulaire et d’usages spécifiques. Tout a un sens, la cohérence est folle et une bonne partie de ses créations proviennent de recherches sur des langues réelles, parfois anciennes. Ainsi, le terme « Arda », qui désigne le monde chez Tolkien, peut venir de l’arabe et de l’allemand.
Bien sûr, peu nombreux sont celles et ceux qui peuvent approfondir les langues au point de concevoir un univers linguistique de cette envergure, mais je pense qu’il est parfaitement légitime de réfléchir au sens que l’on donne à nos créations. Je vois parfois des sites qui proposent des « générateurs de noms » de telle ou telle culture. Il suffit d’y piocher pour ne pas se casser la tête et disposer de la liste complète des personnages de son prochain livre qui s’inspirera de la culture en question. Cette solution est viable, mais ne serait-il pas plus intéressant à la fois pour l’auteur·ice et pour l’univers créé de disposer de vocables cohérents ? N’hésitez pas à former vos mots inventés en prenant des dictionnaires de langue pour tenter de souder plusieurs termes. Par exemple, si vous écrivez un roman inspiré de la culture indienne, vous pouvez donner à une figure d’autorité un nom composé de mots qui signifient « grand » et « seigneur » (ou de « laid » et « roi » par exemple, en fonction du personnage) tout en ajoutant votre propre système étymologique.
Avec cette méthode, qui demande du temps, les possibilités sont infinies et vous constaterez qu’une cohérence de forme et de fond naît de tout le travail que vous abattez.
Vous l’avez compris, ce que je voulais vous écrire dans cet article, c’est que vous êtes libres de créer tout ce que vous imaginez ; avec réflexion et surtout cohérence au sein d’une même œuvre. Définissez des graphies et des déclinaisons, inventez des mots, faites-les vivre et enrichissez vos univers.
Lexique des règles typographiques en usage à l’imprimerie nationale, Imprimerie nationale, 2002.
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© 2024 Pierre Van Hoeserlande
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